Rien de bien particulier car il pensait à ce garçon depuis qu?ils s?étaient rencontrés. En fait, le souvenir de P ne devait pas lui avoir laissé cinq minutes de repos depuis leur rencontre.
Pourtant, ils ne s?étaient vus qu?une fois. Après s?être salués, ils étaient allés prendre un café sur le front de mer et avaient continué la soirée chez P. Ils avaient discuté un petit moment et, s?excusant d?être attendu chez des amis, P l?avait raccompagné à sa voiture. Ils s?étaient dit au revoir d?une bise sur la joue. Leur rencontre avait duré en tout et pour tout approximativement de 16h30 à 20h30. 4 heures.
C?était peu. C?est à peine la durée pour échanger des banalités sur la météo, de se raconter en 2 mots leurs vies respectives, de rire à quelques blagues. C?est tout.
Ce n?est pas long, 4 heures. On n?a pas le temps d?approfondir le propos, on n?évoque pas les sujets qui fâchent (surtout lorsque c?est une première rencontre.) On ne peut connaître la personne.
4 heures, c?est le temps de s?échafauder un personnage. De se mettre en valeur pour briller face à cet interlocuteur inconnu que l?on veut séduire.
240 minutes, c?est aussi le temps de mettre en elle tous ses espoirs.
14 400 secondes. Ce n?est rien face à une vie de solitude.
4 heures.
Le temps que le soleil se couche.
240 minutes.
La vie d?un microbe, peut-être.
14 400 secondes.
Du vent qui souffle.
4. 240. 14 400.
Du vent...
4.2.4.0.1.4.4.0.0.
Le temps de vouloir aimer.
Il monta dans sa voiture. Il n?avait rien acheté. Il était allé en ville dans le but de trouver une mine de plume pour ses dessins. Une plume fine qu?il tremperait dans l?encre noire. Une nouvelle plume qu?il ferait évoluer sur le blanc de la feuille CANSON.
Les volutes se forment peu à peu. Le trait devient signifiant. On remplit de l?espace. Comme cela, certains font des ?uvres. D?autres occupent du temps.
Cela évite de trop penser au reste.
Cela évite de trop penser à P.
Il avait parcouru les magasins spécialisés de la ville, puis, ne trouvant rien à sa convenance, avait abandonné sa recherche et repris le chemin de sa voiture.
Dans son parcours, il était passé dans la rue où P habite.
Mais, attention, par pur hasard. Par hasard, je vous dis ! P habite dans le centre-ville, dans les rues piétonnes. Comme les papetiers !
Il avait regardé en direction de la porte bleue d?entrée dans l?immeuble. La porte se trouvait entre deux magasins de prêt-à-porter féminin. C?était toujours drôle à voir le nombre de mecs poireautant devant la vitrine à attendre que leur copine ne sorte de la boutique.
Et particulièrement ce jour-ci, la rue semblait plus remplie qu?à l?habitude...
Passant dans la rue, il aurait pu rencontrer P. Il aurait fait mine de le reconnaître et l?aurait invité à aller boire un café pas loin.
Cela aurait pu arriver. Ce jour-là particulièrement.
La route du retour en voiture vers chez lui fut longue. Un embouteillage ralentit un peu la circulation de la 4 voies.
Il pensait à P.
C'était habituel. C?était pas grand chose, du moins, ce n?était pas plus qu?à l?habitude. C?est juste comme ça que l?on devient fou.
Il rentra chez lui. Il ne pouvait plus laisser le temps accomplir son ouvrage. Il fallait qu?il fasse quelque chose, qu?il provoque une nouvelle rencontre.
Avec un peu de courage, il aurait téléphoné à P et l?aurait invité à passer un moment en sa compagnie.
Cependant, il avait peur de faire mal les choses. Il ne voulait pas brusquer le garçon au risque que celui-ci ne le trouve encombrant. Il pourrait fuir. En suite de leur première rencontre, ils s?étaient quittés se promettant de se recontacter. N?y tenant plus, le lendemain, il avait envoyé à P un Mail lui disant combien le moment lui semblait avoir paru trop court. Il lui demandait un nouveau rendez-vous. P avait répondu quelques jours plus tard lui disant avoir lui aussi apprécié l?instant passé et regrettait que sa charge de travail actuelle ne l?empêche de voir ses amis. Et ainsi, comprenait-il en sous-entendu, lui-même.
Depuis, P répondait à ses demandes en demi-mot de renouveler leur rencontre par des mots gentils, assurant qu?il allait bien et s?excusant d?être pris.
C?était bon signe, non ? Que demander de plus ?
Un mois s?était écoulé depuis leur rencontre.
Attendre...
Un mois, c?est long. Surtout lorsque l?on réfléchit trop.
Il fallait qu?il sache. Il fallait qu?il lui demande.
Il voulait lui proposer de se revoir rapidement. Il voulait savoir ce qu?il avait pensé de lui. Il voulait passer du temps en sa compagnie. De toute façon, depuis ce jour, tout ce qu?il faisait lui semblait sans intérêt. Que risquait-il ?
En cas de refus, il retournerait à la vie normale et se forcerait à penser à autre chose.
La douleur serait réelle, mais elle passerait vite.
Un adage populaire dit que l?on met autant de temps à de désamouracher d?une personne que l?on en à mis à l?aimer.
Dans leur cas, cela n?avait duré que 4 heures.
4 heures ? Ou le temps écoulé depuis leur premier véritable contact, après qu?il ait répondu à cette annonce de P vue sur un site de rencontre sur le Net ?
Cela faisait presque 1 mois et demi. Donc, se disait-il, en cas de refus, il serait de nouveau libre dans son esprit. Dans un mois et demi.
C?était bien.
A moins que l?adage n?évoque le premier moment où P était vraiment entré dans sa vie. C?est à dire il y a plus de 15 ans ! 15 ans, depuis l?instant où il avait aperçu P dans la cour de leur lycée commun. A cette époque, il n?avait pas osé aller lui parler, il avait eu peur de se faire rejeter. (Comme maintenant d?ailleurs !) Depuis, P n?était jamais vraiment sorti de son esprit, devenu un fantôme fantasmatique de son passé. Au fil du temps, il avait gardé en l?esprit le souvenir de ce garçon si particulier pour lui.
Pourquoi lui et pas un autre ? Allez savoir pourquoi l?on craque sur untel et pas sur son voisin. Vous en connaissez, vous, la raison pour laquelle on s?imagine que quelqu?un est fait pour vous, que vous avez les mêmes besoins, les mêmes envies ? Vous avez déjà connu le coup de foudre ? Celui qui, sans réfléchir, vous dit que cet autre occupera votre pensée durant de longues années, que vous n?oublierez jamais son regard, même aperçu furtivement, que son sourire vous hantera longtemps. Pourquoi P et pas ce garçon plus joli aperçu dans la rue une autre fois ?
Et bien lui, il ne connaissait pas la raison de sa passion. Il savait, c?était tout. Il en était sûr depuis le mois précédent où, par l?intermédiaire du site de rencontres sur le Net, la chance lui avait sourit, remettant sur son chemin le garçon qu?il avait désiré autrefois.
Que demander de mieux ?
De toute façon, dans le pire des cas, P lui répondrait que les sentiments ne sont pas réciproques mais qu?ils peuvent devenir amis. Ce serait toujours ça de pris. A défaut du meilleur, on se contente du bien.
En cas de malheur...
Parce que dans l?autre cas, le doute durerait juste le temps que P accepte son rendez-vous. Après, il serait sauvé. Puisque que P ressemblait à cet instant à tout ce qu?il avait pu rechercher dans sa vie...
Il fallait qu?il croie en sa chance. Il était trop négatif.
Il enfourna négligemment son blouson dans la penderie de l?entrée. Il défit ses chaussures et les remplaça par des chaussons plus confortables.
Il ouvrit le frigo et, sous la lumière de la petite ampoule de l?appareil, but une rasade de jus de fruit. La fermeture de la porte restitua l?obscurité dans la pièce où il se trouvait.
Machinalement, il alluma son ordinateur.
La longue attente de la mise en route...
L?activation de l?écran... L?ouverture du logiciel...
C?était décidé. Il fallait qu?il agisse. Il fallait qu?il sache.
Il s?était décidé à avouer ce qu?il ressentait. Il ne pouvait plus rester comme ça.
Il avait décidé de lui avouer ce qu?il ressentait pour lui. Il voulait le convaincre de lui donner une chance de lui prouver que ses sentiments étaient pour de vrai. Il désirait lui ouvrir son c?ur sans fausse honte ni aucune pudeur. Il voulait lui dire les plans qu?il avait imaginés concernant un avenir commun. Même si la réalité décidait que leur relation ne serait pas de celles qui durent, au moins ils auraient essayé.
En agissant en toute franchise, P croirait à ses mots maladroits mais sincères. P ne pouvait pas rester insensible au trouble qu?il avait lui-même causé. P ne pouvait pas le rejeter pour de mauvais motifs.
Il devait agir.
D?ordinaire il réfléchissait trop. Beaucoup de ses amis le lui disaient souvent. Il avait peur de faire mal et cela l?empêchait de se satisfaire de l?instant présent. On ne peut bâtir de bonheur en essayant d?éviter les erreurs encore et toujours...
Il avait décidé que cela ne se passerait pas de la même manière. Il prendrait ici son courage en main.
Ce serait peut-être le pari le plus risqué de sa vie, parce qu?en réalité seul P avait eu l?audace de rester aussi présent en son esprit durant de si longues années.
Oh, bien sûr, lui aussi avait aimé auparavant. Lui aussi avait cru que ses relations passées dureraient éternellement. Il avait cru aimer et être aimé par d?autres éternellement. Il s?était lui aussi fait rejeter par d?autres garçons avec lesquels il croyait à une vie commune de longue durée. Si cela n?était pas arrivé, peut-être que la force avec laquelle il désirait à présent appartenir à P ne serait pas aussi forte.
Naturellement, il y avait eu des moments où, au fil des années, P avait disparu de son esprit.
Mais, depuis que P avait réapparu, tout avait changé en son esprit. A l?instant même où il avait vu la petite photo floue accompagnant l?annonce...
La chance sourit, paraît-il, aux audacieux. Il ne pouvait pas être celui qui ferait mentir le proverbe.
Assis dans la pénombre, simplement éclairé par la lumière dure de son écran d?ordinateur, il se mit à écrire.
Il voulait écrire la plus belle lettre d?Amour que P ne recevrait jamais...
Putain, je suis trop tombé dans le piège, quand j'ai vu comme l'écriture était impeccable, je me suis dit, ouais c'est lui. Puis en fait non, c'était mieux....alors j'ai dit c'est bon, j'ai trouvé mieux. Et non, les petites histoires précédemment écrites sont rappelées en bas de l'histoire, j'étais dégoûté. Pfff je sais même pas pourquoi je te dis ça. Tu m'énerves. De toute façon, je me rassure en me disant que tu as écrit l'histoire où le gars est en boîte, celle-là je l'ai pas trop aimée, ça me rassure. Ou alors, elle est encore mieux que les autres, écrite exprès comme ça, et alors là, c'est moi qui suis nul.....merde.
Merci de ce nouveau cadeau ...
ça ne s'invente pas l'attente , ça ne s'imagine pas ,ça ne se décrit même pas ... ça se vit ! Et tu nous la fait vivre au fil de tes secondes , de tes espoirs , de la palpitation de ton coeur suspendu ...
Fragile tu saisis le fil du souvenir , si proche et si lointain ... Doucement hâtes-toi ... nous sommes accrochés à ta plume ... à tes mots ...