Nous sommes en octobre 1994... j'ai 24 ans. Je viens me présenter aux dernières sélections pour intégrer le service national de la coopération. Plus que quelques jours à passer à Bercy puis... le 22/10/95 départ pour Barcelone pour 16 mois.
Je laisse derrière moi mes études, mes amis, ma famille pour me retrouver dans une ville que je ne connais pas, une ville que je n'avais pas choisie, un environnement tout nouveau. Je rêvais d'Amérique du Sud, moi, de destinations lointaines ! Barcelone est à peine à plus de 1000 km de mon domicile? L'Etat me paie un billet d'avion pour rejoindre mon affectation ! Ouf ! C'est déjà ça !
Avant mon départ, j'avais réglé l'épineux problème du logement. Je reprenais l'appartement du coopérant que je remplaçais, à compter du 1er novembre. Jusqu'à cette date, j'étais hébergé chez les parents d'un ami catalan que mes parents avaient hébergé lorsqu'il étudiait à Strasbourg quelques mois plus tôt.
Je ne savais pas ce qui allait m'attendre mais j'étais assez impatient de rejoindre cet appartement pour y trouver mon indépendance. Les études c'est bien, mais ça a ses limites ! Un colocataire français devait me rejoindre au début du mois de décembre.
Début novembre, je pris possession des lieux. L'appartement se situait dans le quartier de Gracia, une petite rue calme (ce qui est très rare à Barcelone !), au dernier étage et comportait 2 superbes terrasses. Je m'y suis senti rapidement à l'aise. J'étais à 15 mn à pied de mon boulot. L'idéal !
Le précédent locataire avait laissé une revue sur la table : la guia del ocio (guide des loisirs). Je la consultai rapidement... et me rendis compte qu'elle comportait une section de petites annonces : "Chico busca chica" (H cherche F), "Chica busca chico" (F cherche H) et... "Chico busca chico" (H cherche H). Je savais que j'étais homosexuel, j'avais eu une relation "cachée" de plusieurs années, mais je ne m'acceptais pas véritablement. Non pas par timidité, mais par crainte du regard des autres et probablement aussi par manque de confiance en moi. Ce que tout homosexuel a connu.
Les réponses aux annonces se faisaient par téléphone, mais la boite vocale ne reconnaissait pas ma voix à cause de mon accent. Mes efforts de prononciation n'y faisaient rien ! Je trouvais péniblement le petit "click" qui transforma mon combiné en téléphone numérique à touches sonores. Quelle simplification, il me suffisait de taper le numéro de l'annonce !
Mes rencontres se multipliaient et ne se ressemblaient pas ! La grande ville permet l'anonymat.... Barcelone est un véritable bouillon de culture. C'est un port ouvert sur la Méditerranée. Toutes les cultures s'y retrouvent. Je rencontrais Péruviens, Mexicains, Espagnols etc. Tous homosexuels ! Etait-ce possible ?! Mais quelle satisfaction de voir mes pairs dans une totale indifférence.
On me fit connaître les endroits "in" du moment : El Covento, Kiss, Martin's, Metro (discothèques en vogue), Punto, la luna, Cafe de la calle (bars). La confiance en moi était là ! Je n'y allais pas pour draguer, mais pour connaître ces endroits nouveaux, découvrir ce style de vie dont je prétendais faire partie. Les sorties se multipliaient.
Mon colocataire - très sympathique - devait se poser des questions car tous les appels téléphoniques... avaient une voix masculine. Je décidai de le mettre dans la confidence et lui avoua mon homosexualité. On devait partager l'appartement pendant 10 mois encore et j'hésitais un peu. Nous nous comprenions bien. Entre gens intelligents, c'est normal ! Il était hétéro, inutile de le lui demander. Mon coming out fait, il me rassura immédiatement. Je l'invitais alors régulièrement à venir avec moi découvrir mon "nouveau monde".
Un jour, je décidai de publier ma propre annonce : JH Français rech JH pour sorties etc. Un texte simple, quelconque, tout à fait respectable.
La première récolte (!) fut maigre, mais la seconde me permit de rencontrer un certain Edu. Un JH de 2 ans plus jeune que moi. On se donna RV sur la place de Catalogne, en face du fameux Corte Inglés. En fait, cet après-midi là j'étais occupé avec un ami et j'en oubliai mon obligation?. Je ne me rendis pas au RV.
Le lendemain, le téléphone sonna et... Edu me demanda pourquoi je ne m'étais pas présenté. Il aurait pu ne pas rappeler, mais il voulait savoir. J'improvisai une réponse qui le satisfit et nous décidâmes de fixer un second RV le 11 mai à la station métro de Gracia.
Ce 11 mai, je sors de mon travail et me dirige vers la station de métro. Il était venu avec son scooter. Il avait un look très PD : lentilles de contact bleues, jeans, cheveux mi-longs, petite veste en daim... Il était grand, mince. On décida d'aller prendre un pot un peu plus loin pour faire connaissance.
Il me raconta qu'il avait été dragqueen mais qu'il avait arrêté, qu'il travaillait dans une entreprise etc. Un ensemble de choses très banales... qui correspondait à une rencontre très banale aussi.
Je lui disais que j'étais Français, que je faisais mon service national en Espagne, que je cherchais de nouveaux amis... "Lo tipico" comme on dit là-bas !
Le soir même, nous nous quittons pour retourner à nos occupations. Je ne sais plus qui de nous deux décida de rappeler l'autre. Au cours des semaines qui suivirent, nous nous rencontrions régulièrement, en véritables amis en fait.
Que fais-tu à l'ascencion ? Et si on partait à Peñiscola ? Pas de problème ! Nous partons donc en week end dans cette station balnéaire de la côté valencienne. Là aussi, en vrais amis ! Il me racontait autour d'une table remplie de "tapas" ses expériences de dragqueen, ses rencontres précédentes, sa famille etc. Il avait des mimiques qui me faisaient mourir de rire.
Le soleil tapait fort le lendemain. J'ai eu la mauvaise idée de demander un petit vin blanc bien frais pour le déjeûner : le résultat, que tout le monde devine, ne se fit pas attendre ! Je titubais ! On décida de faire un peu de pédalo autour du château qui surplombait la mer?
Nous rentrons à Barcelone, accueillis à la gare par sa meilleure amie. Celle-ci nous proposa de venir passer, quelques semaines plus tard, le week-end de la Saint Jean dans une ferme. Nous acceptons immédiatement !
La veille de la St. Jean arrive. Les Espagnols qui savent faire la fête, lancent pétards et autres artifices. J'attends Edu sur ma terrasse. L'air est doux. Je contemple le Tibidabo, illuminé. Le ciel est étoilé. Je fume. Je suis impatient. Je n'entends presque rien... sauf les feux d'artifices. Je l'attends et le temps ne passe pas. La douceur de l'air ne m'empêche pas de faire les 100 pas...
La sonnerie ! Oui ? On t'attend en bas, viens ! Excuse-nous pour le retard... Je descends par les escaliers et salue Edu, sa copine et son petit copain.
La ferme en question se trouve à 50 Km environ. Nous nous installons derrière, nous tenant par la main et échangeons, ouvertement, devant nos 2 guides des baisers sur la bouche.
Arrivés, je fais le "tour du propriétaire" : une ferme du plus pur style catalan... perdue en pleine campagne... dans un petit village, un lieu-dit ! La ferme doit dater du début du siècle... le plancher craque, les portes grincent, les fenêtres sont pleines de poussière, la paille traine sur le sol. Une ambiance qui tranche avec celle de Barcelone qui grouille sans arrêt.
Nous nous installons tous les 4 dans la pièce principale. Nos hôtes nous préparent de quoi nous rassasier à la lumière d'une ampoule et d'un feu de cheminée. La cheminée, un vrai plaisir ! Nous mangeons, parlons encore un peu et nos hôtes décident de se retirer pour profiter pleinement de leur nuit. Ils nous laissent, en face de ce feu de cheminée, rouge, jaune, qui se consume peu à peu. Nous nous enlaçons, nous embrassons et apprenons à découvrir nos corps.
Je savais que quelque chose s'était produit. Quelque chose d'inattendu. Quelque chose de souhaité. Quelque chose qui changerait peut-être ma vie ?
Nous passons tout le week-end dans notre chambre... Il n'y avait pas grand chose à faire d'autre, en fait ! Au petit déjeuner, notre hôte, nous amena un plateau bien garni dans notre chambre, histoire de reprendre des forces et de continuer l'effort entrepris la veille.
Nous rentrons à Barcelone, heureux - je crois - l'un comme l'autre. Nous sommes épris... nous sommes un peu fous... nous faisons les 400 coups en boite... nous nous rencontrons tous les jours... Nous retournons régulièrement dans cette ferme pour retrouver cette complicité, cette découverte des corps et l'intimité qui nous manquaient.
Edu est véritablement un garçon doux et sensible. Il est plein d'attention. Il est amusant. Il est maintenant à moi. Je commence à le présenter à mes amis.
Los projets fusent. Les coopérants, contrairement aux soldats, ont des vacances. Je l'invite à m'accompagner à Budapest où un de mes copains faisait, lui aussi, sa coopération. Nous découvrons Buda et Pest, Szeged, Pecs, la douceur de vivre hongroise et ses rares boites gays aussi. Nous passons du "bon temps" dans les trains (vides !) et dans les termes.
Au retour, nous faisons escale à Rome et profitons de notre journée pour visiter la capitale italienne. Au Vatican, place St Pierre, on décide de nous embrasser sur la bouche. Hésitant un peu, beaucoup?on s'embrassa. Je précise que la religion ne tient aucune place dans notre vie et cet acte était purement provocateur. Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font ! Ouf, on est pardonnés !
Le mois de septembre arrive et je lui avoue que je vais devoir partir au mois de janvier 96. Je lui demande s'il veut venir avec moi en France... Il réfléchit... et me répond que OUI ! Le choix était difficile pour lui, mais il devait me faire confiance pour tout plaquer pour moi.
Nous "organisons" son départ aux yeux de ses parents : nous inventons une histoire "pas possible" de type études en France. Ses parents acceptent?. Ouf ! Avaient-ils le choix ?
Pour préparer notre nouvelle vie, nous décidons de louer un petit appartement toujours à Barcelone. Je ne voulais pas mettre mon colocataire en mauvaise posture, si bien que j'attendais que le bail de l'appartement expire. Nous entrons, Edu et moi-même, dans notre petit nid le 31/12/95... crémaillère ou réveillon ? Les deux !
Nous y restons un peu plus de trois mois. Je termine ma coopération en janvier. J'attends mon affectation dans l'Education Nationale. On en profite pour partir une semaine en Colombie. On découvre véritablement ce qui compte pour nous. Rester ensemble ! On quitte Barcelone et rentrons à Strasbourg en avril... en train ! J'avais déjà renvoyé une partie de mes affaires "par la voie officielle" quelques semaines auparavant, mais il en restait encore : Notre chat - Gato - miaulait toute la nuit dans le wagon. Des sacs par ci, des sacs par là.... On devait nous prendre pour des réfugiés certainement en y repensant ! Ma s?ur nous attendait à la gare de Strasbourg le matin, ouf ! Mais faire 17h de trajet avec un chat, pensez-y avant ! Moi c'est clair, PLUS JAMAIS !
Je décide de l'inscrire dans une école de langues pour apprendre le français. Ca se passe bien. On sous-loue l'appartement de la soeur d'un copain au centre ville. L'été caniculaire en Alsace, entre coupé par des orages, des visites, des sorties se passe bien. Le choc des cultures est là, quand même, inutile de le cacher. La distance, les amis, la famille affectent Edu. La France est un pays violent et je partage largement ce point de vue.
Nous quittons Strasbourg pour rejoindre mon affectation. Nouvelle adaptation, nouvel environnement. Nous passons une certaine période en France avant de nous réinstaller en Espagne. Finalement, on revient en France. Et nous voilà en novembre 2001 et cela fait plus de 6 ans depuis ce 11 mai à la station de métro de Gracia.
Entre temps, nous nous sommes pacsés le 30 décembre 1999 à Barcelone. Nous sommes d'ailleurs le 1er PACS conclu en Espagne (pas à l'étranger, c'est en Belgique je crois). On a le numéro 0000001 !!!
Que dire ? Nous sommes heureux ! Nous sommes très souvent ensemble ! Nous partageons tout ! Nous sommes acceptés par nos familles respectives ! Par nos amis ! Par nos collègues de boulot !
Le reste ? Peu importe ! Ce qui compte à nos yeux c'est nous, ceux qui nous entourent, qui nous ont aidés, qui nous ont soutenus. Ceux qui ont été là ; ceux qui seront là aussi. Le regard méfiant des autres ? Ceux qui nous critiquent ? On s'en fout ! Les casseurs de couple ? On ne leur laisse plus d'occasion ! Nous nous sentons forts, prêts à déplacer des montagnes ! Nous sommes toujours ensemble, quelles que soient les embûches, les difficultés d'adaptation, le climat.
Nous retournons encore en Espagne pour nous replonger dans cette ambiance si particulière. J'adore ce pays. J'y ai tellement de souvenirs.
Quand je retourne à Barcelone, je ne vais plus dans cette petite rue calme où tout a commencé. Trop de souvenirs, mais c'est bien plus que ça (je ne peux pas tout vous raconter, ce serait vraiment trop long). Quand j'y vais, j'en ai la gorge serrée. Une sensation bizarre, inexplicable. Beaucoup de rencontres, d'émotions, de sentiments, d'anecdotes, de pleurs aussi. Quand nous retournons à Barcelone, nous nous arrêtons chez ses parents, chez nos amis et nous partons découvrir les côtes de Galice avec ses chevaux sauvages, les côtes d'Ibiza, de Formentera et ses plages paradisiaques?
Le secret de notre couple ?. Je crois que nous nous sommes rendus compte que nous partageons les mêmes principes de vie, les mêmes sentiments sans avoir pour autant les mêmes activités. Nous nous respectons, nous nous écoutons, nous nous parlons. Nous sommes fidèles. Nous avons des expériences et des intérêts différents? et c'est probablement cette différence qui fait notre richesse.
je suis furieux.... parce que je viens de taper très longuement une réponse et un commentaire à ce que je viens de lire et une fausse manip a effacé le texte que j'avais mis un bon quart d'heure à taper...et là j'ai plkus trop le courage de recommencer mais je voulais dire que je voyais les choses totalement autrement...je suis triste de cet incident parce que ce que j'avais à dire me semblait tres important en fait ca l'était peut etre pas tant que ça pardonnez moi d'être narcissique
à bientôt si je retrouve un peu de courage et puis d'ici là que chacun mène la vie qu'il a choisi de mener... tous les choix me semblent respectables
bravo, à toi, à vous...
Une belle histoire que chacun aimerait pouvoir vivre à son tour... C'est ce à quoi j'aspire...
Depuis quelques semaines je me suis engagé sur cette voie (pas évident pour un divorcé) mais j'ai la foie, j'y crois... Le hasard fait qu'un
inconnu a su m'y aider, ce n'est pas celui que j'aime, mais un AMI, un vrai, celui qu'on ne voudrait pas perdre... Il se reconnaitra : je lui dis MERCI !
JE N AI QUE 18 ANS ET JE N AI PAS ENCORE RENCONTRE LE MEC AVEC QUI DEPASSER LE STADE DU PLAN Q ET JE SUIS UN PEU PRESSE ET D AUTRES FOIS JE CROIS QUE CA NE SE PASSERA JAMAIS ALORS QUAND JE LIS TON HISTOIRE JE REPRENDS UN PEU COURAGE.
J'avoue avoir été très touché par ton histoire... Il est rare de lire ici des histoires personnelles comme celle-ci. J'imagine que tu as sciemment omis de parler des difficultés que vous avez dû rencontrer au cours de ces mois en Espagne, en tant que coopérant, car je pense que, si tu as fait ta coopé dans l'adminiqtration (éducation nationale ?), la prise en compte de ce type de relation n'a pas dû être évident.
Quoi qu'il en soit, c'est génial de voir de couples heureux, reconnus et épanouis.
tres belle histoire, ça fait envie...tu as de la chance d'avoir eu les moyens financiers de faire tout ces déplacements...
moi je vis dans la précarité et c'est même pas la peine d'envisager quoi que ce soit, je suis devenu trop sauvage à force !
Enfin c'est super pour toi, plein de bonheur à vous 2 et a tous ceux qui lirons :o)