Hommage à Raphaël, artiste prolifique aux multiples talents, il s?est essayé au métier de professeur pendant plusieurs années, avant de se consacrer à sa véritable vocation : l?écriture. Il a écrit entre autre, les pièces de théâtre « Salle Fumeurs » et « Rosa des Lamantins ». Ses choix sans concessions, sa personnalité à fleur de plume et son style épuré, font de lui un écrivain qui « conte » à La Rochelle?
« Salle Fumeurs
SCENE 1
(ELISE, ALEX.)
ELISE : C?est reparti, encore une de faite.
ALEX : Une quoi de faite ?
ELISE : Une rentrée scolaire.
ALEX : Ah ça? Magnifique ! Vivement juin.
ELISE : Quelle conscience professionnelle ! Voilà une déclaration susceptible d?améliorer la réputation de « branle-que-dalle » du corps enseignant.
ALEX : Holà ! Moi, je ne cherche à améliorer aucune réputation. C?est juste que cette année, je sens que je vais squatter la salle Chimio. Je n?ai vraiment pas envie du tout de passer mon temps hors-classe dans la basse-cour qu?est la salle des profs. Le syndrome « Chute de l?Occident chrétien », nous sommes une forteresse assiégée, ça va un moment. En plus, c?est de l?acharnement thérapeutique.
ELISE : Je vois que deux mois de vacances ne t?ont pas changé : monsieur Polémique fait lui aussi sa rentrée. A part ta dépression de post-rentrée, qu?as-tu fait de ton été,
ALEX : Bof , rien de spectaculaire. La lente monotonie du quotidien. Tu sais que chaque matin, tu n?as pas d?horaire, pas d?obligation, pas de sonnerie pour te rappeler que tu dois aller dans tel bâtiment, telle salle, pour faire cours à telle classe. Comme si le temps était mis entre parenthèses . Tu peux même te payer le luxe de dilapider ce si précieux temps. Enfin voilà quoi? Et toi ?
ELISE : Je voulais passer trois semaines dans la région de Florence et finalement, vu ce que mes nouvelles fenêtres m?ont coûtées, je me suis rabattu sur quinze jours dans la maison de mes parents sur la côte. Remarque, pour une fois que je passe avant mes frères et s?urs et leurs enfants?
ALEX : Tes parents ne sont pas comme ça?
ELISE : Peut-être, cependant ils téléphonent aux autres une fois par semaine pour savoir comment vont les enfants et donner des nouvelles. Moi, si je veux en avoir, j?ai intérêt à téléphoner sinon je peux toujours attendre.. Par contre s?ils ont un problème, c?est à moi qu?ils font appel : « Toi, t?es plus disponible, tu n?as pas d?enfants ! »
ALEX : Forcément, en tant que célibataire, tu n?as aucune vie privée. En tous cas, elle ne peut être aussi prenante et remplie que celle des couples qui se sont clonés.
ELISE :De toute façon inutile d?épiloguer? Et le reste des vacances, j?ai exploré les nouveaux chapitres du programme des terminales : l?art dans les années quatre-vingt ?
ALEX : Tu as travaillé durant les vacances ? Tu es une vrai aventurière toi ! Pas de chasse au prince charmant alors ?
ELISE : Non, j?ai loupé la date d?ouverture. Et puis, tu sais, le prince se transforme invariablement en crapaud. C?est la règle. Il faut être fleur bleue comme toi pour y croire encore !
ALEX : Aventurière et optimiste de base, attention tu frises l?héroïsme?
ELISE : Hé, le donneur de leçon, il peut me remémorer l?intrigue de sa dernière love story ? Attends, je sais, pas dur, c?est toujours la même chose, un vrai protocole médicale.
ALEX : Ca va, d?accord, j?arrête ! Mais, tout de même, tu ne vas pas me dire que charmante et pleine de qualité comme tu es, tu ne peux pas trouver quelqu?un de bien !
ELISE : Oui, bien écoute, pour le moment ce problème n?est pas à l?ordre du jour. Occupe toi de ton c?ur et laisse moi gérer le mien.
ALEX : Excuses-moi, je n?insiste pas? L?autre jour, à la télé, j?ai vu un documentaire sur les années soixante. Il y avait toute une partie sur l?art. Ils ont montré un gars, j?ai oublié son nom !, qui faisait de la sculpture vivante : par exemple, il avait mis en scène une jeune femme nue, attachée à un mur avec une grande chaîne. Je ne vois vraiment pas l?intérêt?
ELISE : Déjà, est-ce qu?il faut que l?art ait toujours un but ou un intérêt, toujours tout justifier en permanence ? Magritte disait d?ailleurs aux critiques d?art, qui visiblement étaient sourds, que plus on lui prêtait des intentions particulières plus on se trompait. Dans sa peinture, il y avait à voir?Sa peinture, aucun symbole. Ensuite, le « truc » dont tu m?as parlé, c?est du body art, de l?art avec le corps parce que là aussi, il y a nuance, presque écoles différentes?
ALEX : J?ai jamais rien compris à la peinture et à l?art en général, je ne vais pas commencer aujourd?hui.
ELISE : Evidemment, tu veux toujours tout décortiquer, analyser, comprendre jusqu?à la moindre implication inconsciente ! La plupart des choses, et là pas seulement dans l?art?, sont spontanément compréhensibles. Il suffit juste d?être observateur, un tant soit peu logique et?sensible. La théorisation masque souvent la sécheresse du c?ur et la stérilité de l?esprit !
ALEX : Toi, tu es en forme à la rentrée?Bon c?est pas que je m?ennuie, mais le devoir m?appelle. On se retrouve à la pause de 16 heures ?
ELISE : Non, je serais avec le comptable pour la liste de matériel à acheter. J?imagine le budget : un sandwich à l?envie !
ALEX : Un sandwich à l?envie ?
ELISE : Un sandwich où tu aurais envie qu?entre les deux tranches de pain, il y ait un jambon !